Introduction
Fascinante, redoutable et redoutée, la mort est, en art comme en philosophie, un
thème qui n'a de cesse de nous captiver. Omniprésente dans les art figuratifs comme
dans les arts abstraits, la conscience de sa propre finitude s'offre à l'homme en contraste
de son sentiment d'immortalité.
Avant de nous livrer, comme promis, à une critique plus détaillée d'oeuvres, voici un
petit avant-propos concernant la perception de la mort à travers les âges.
Hamlet, récitant le célèbre soliloque "To be or not to be"
© Hamlet (1948), directed by Sir Laurence Oliver
Dans la tradition judéo-chrétienne, l'homme n'avait originellement pas été créé pour
être mortel, et jouissait d'un bonheur et d'une abondance sans limite dans le jardin d'Éden.
La mort est née du péché, et a alors revêtu une fonction punitive, s'abattant sur les
coupables comme sur tous les hommes qui les suivraient. Elle est donc porteuse d'une double injustice: celle d'être subie pour une faute que l'on a pas soi-même commise, et celle d'avoir été, en réalité, parfaitement évitable.
Cependant, le Nouveau Testament introduit, avec le Christ, une conception de la
mort que l'on retouve communément dans les autres cultures religieuses: Il ne s'agit plus
seulement du corps mais de ce qui adviendra de l'âme. Jésus offre aux hommes la possibilité de se racheter, d'atteindre un Eternel qui donne à la mort physique une dimension beaucoup plus acceptable et positive.
Au Moyen-Âge, la mort a une place de choix, non seulement dans les arts mais aussi
et surtout dans la vie quotidienne des gens. Frappée par les famines et épidémies successives, cette période se voit surtout subir les influences du clergé, qui a bien
compris que la peur de la mort pouvait avoir des conséquences lucratives. L'église met
alors l'accent sur la nécessité de se repentir pour atteindre la vie éternelle, attirant ainsi
de plus en plus de chrétiens. Conjointement, elle choisit d'associer à la mort des
représentations de la souffrance en utilisant l'image de la passion du Christ.
C'est cependant à la Renaissance, et avec l'essor de l'art Baroque, que les représentations de la mort vont peu à peu se modifier. Dans le baroque, qui privilégie
les couleurs vives, les représentations exagérées, l'illusion est utilisée et les frontières
entre la mort et la vie sont aplanies. C'est à ce moment là qu'a lieu la multiplication des
Vanités, ces oeuvres représentant généralement des crânes humains pour rappeler au
spectateur le célèbre "memento mori", "souviens-toi que tu vas mourir".
Pieter van Steenwyck, ars longa, vitta brevis
La vision de la mort a continué à évoluer, et le siècle des Lumières ne fut pas de
reste en la matière. La science prend peu à peu une place qui annonce déjà la
diminution de l'influence religieuse. La vision de l'homme change: il devient bon de
nature, vertueux, on s'attache à cultiver ces vertues et à tenir la mort éloignée.
Avec le progrès scientifique, la médecine s'améliorent, les connaissances en anatomie
se précisent. Parallèlement, les débats sur les exécutions de l'église Inquisitoriale
s'étayent. C'est le début de la démystification de la mort.
Aujourd'hui, l'image que nous nous en faisons est bien différente. Il est fortement
probable que l'horreur des deux guerres mondiales qu'aura connu le 20ème siècle
en ait modifié notre perception.On lui enlève même son caractère punitif avec
l'abolition officielle de la peine de mort en France, en 1981.
Il semble qu'il y ait eu une nécessité de dédramatiser l'oeuvre de la Faucheuse, allant
même parfois la priver de son aspect tragique voire la rendre humoristique. C'est
ainsi que l'on voit apparaitre de nombreuses oeuvres dans lesquelles la mort n'est
plus cette idée effroyable de la finitude humaine, cette insupportable incertitude, mais
un personnage à part entière, parfois grotesque, parfois distingué, mais rarement mauvais ou agissant arbitrairement.
C'est d'ailleurs, entre autre, en cela que la vision anthropomorphique de la Mort
prend tout son sens: on ne peut la personnifier sans lui prêter une intention, peut-être même des affects. En somme, la Faucheuse est dépouillée de son caractère absurde
et incompréhensible: elle n'intervient jamais sans raison.
La suite en page 4 ↓ (n'ayez pas peur...)
Commentaires
Instructif, mais globalement peu rassurant. Florentin